Le XXIIe Prix Italiques a été remis solennellement à René de Ceccatty
dans le Teatro siciliano de l’Hôtel de Boisgelin, siège de l’Ambassade d’Italie en France,
47 rue de Varenne, 75007 Paris, le vendredi 2 décembre 2022 à 16h30,
pour son livre Avec Pier Paolo Pasolini, Éditions du Rocher, 2022.
Cette année, le jury de la XXIIe édition du Prix Italiques était appelé à couronner l’auteur français d’un œuvre consacrée à l’Italie. En cette année où l’on célèbre le centenaire de la naissance de Pasolini, le choix s’est porté sur René de Ceccatty pour son ouvrage Avec Pier Paolo Pasolini, publié en 2022 par les Editions du Rocher.
Il s’agit d’un recueil d’articles, de conférences, d’entretiens publiés pendant près de quarante ans de 1983 à 2021. Il est l’aboutissement, sans doute encore provisoire, d’un long compagnonnage entre l’auteur et Pasolini que traduit parfaitement le « avec » du titre.
René de Ceccatty est un explorateur infatigable des contrées les plus variées de la littérature, tout à tour romancier, poète, dramaturge, traducteur, critique, éditeur, directeur de collection. Il est guidé par une curiosité insatiable, sans limite de temps ni d’espace. Mais porté par un goût particulier pour la littérature italienne. René de Ceccatty illustre la figure du passeur, celui qui, se jouant des frontières, fait transiter un auteur ou une œuvre d’un pays à l’autre, qui organise la migration d’une langue vers une autre. Il a traduit les poètes et narrateurs italiens, à commencer par les plus grands, Dante et Leopardi. On lui doit notamment une traduction de La Divine Comédie (Editions du Seuil, 2017), en octosyllabes et sans appareil critique, attachée à rendre le rythme et la beauté mélodique de la langue de Dante. Plus près de nous, il a traduit Saba, Savinio, Moravia, Del Giudice… Et, récemment, le formidable récit d’Edith Bruck, Il pane perduto.
Il est également l’auteur de biographies, en particulier la première consacrée en France à Pasolini (Gallimard, 2005), mais aussi d’artistes et d’écrivains qui furent ses amis proches comme la Callas, Moravia et Elsa Morante. De Pasolini, il a également traduit et fait découvrir en France une grande partie de l’œuvre poétique, trop méconnue, ainsi que son recueil d’essais critiques, Descrizioni di descrizioni, et son fameux « roman » posthume, Petrolio, la dernière œuvre sur laquelle travaillait Pasolini au moment de sa mort, mû par l’ambition d’inventer une forme de narrative nouvelle, une sorte d’œuvre totale, qui aurait été sa Divine Comédie.
Personne en France n’est entré plus profondément dans l’intimité de l’œuvre de Pasolini. Et aucune œuvre, Ceccatty nous en fait l’aveu dans l’introduction au livre que nous couronnons, n’a aussi intensément et durablement marqué la vie de l’auteur que celle de Pasolini. « A tous les moments de ma vie, j’ai eu le besoin de m’exprimer sur Pasolini » (p. 7)
Ce n’est pas sans émotion qu’il relate comment s’est noué le contact. Tout commence en 1970 :
Durant l’hiver 1969-1970, sortant à peine de l’adolescence, je me suis adressé à Pier Paolo Pasolini pour lui demander s’il accepterait de lire un manuscrit que j’avais écrit après avoir vu Théorème au printemps 1969. (p. 13)
Pasolini, alors au sommet de sa notoriété, répondit aussitôt à ce jeune inconnu par une gentille lettre d’acceptation. Les circonstances firent que le rendez-vous désiré n’eut pas lieu et la disparition de Pasolini en 1975 empêcha à tout jamais la rencontre.
C’est aussi parce que je ne l’ai pas rencontré que j’ai consacré tant de ma vie à la sienne, tant de livres aux siens (…) Depuis cette époque, Pasolini appartient à ma vie intérieure et à ma vie littéraire. Il a totalement guidé ma formation intellectuelle. C’est aussi à lui que je dois d’être devenu traducteur d’italien. (p. 14)
A travers les pages de cette somme de 557 pages, le lecteur découvrira ou redécouvrira les infinies facettes de l’œuvre et de la personnalité de Pasolini, écrivain et intellectuel qui a marqué son temps comme nul autre, qui a traversé comme une comète le ciel de la culture italienne, l’essentiel de son œuvre tenant en un quart de siècle entre 1950 et sa fin tragique en 1975. Ceccatty retrace ce que furent les combats de Pasolini, sa rage polémique contre le conformisme ambiant, la société de consommation, l’hédonisme de masse, toutes prises de position qui lui valurent d’être persécuté, à coup de procès répétés, par des pouvoirs politiques et judiciaires incarnant un ordre moral hypocrite.
Mais reconnaître la force de celui qu’on a qualifié d’imprécateur et d’hérétique (qualificatif qu’il revendiquait) ne suffit pas à rendre justice à son génie créateur. Et c’est tout le mérite de René de Ceccatty de récuser, au long de ces pages, les interprétations réductrices pour mettre en lumière sa capacité à jouer avec une gamme étendue de moyens expressifs, la parole et l’image, le langage poétique et le langage cinématographique, tous domaines dans lesquels il se révéla un inventeur de formes hors norme. Et de rappeler que la tension souvent exaspérée avec laquelle Pasolini regarde et juge son temps ne doit pas faire oublier la sensibilité du poète, la tendresse de ce révolté doux pour ses années de jeunesse frioulane, l’intérêt et la générosité avec lesquels il a observé et dépeint le sous prolétariat des borgate romaines.
Laissons les derniers mots à notre lauréat :
Entre ses premiers poèmes et sa mort, il n’a jamais dévié d’une ligne de son engagement personnel dans la création, avec des dominantes successives. Dominante poétique dans les années quarante, narrative et critique dans les années 50, cinématographique dans les années 60. Mais les poèmes sont toujours là. Ils accompagnent toute création. Et ces poèmes ne sont jamais une réalité littéraire ajoutée à la réalité, ils sont le compte-rendu poétique de la réalité. (p. 107)
Jean Musitelli
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